Une approche historique



Brigitte Waché





Brigitte
Waché,
Présidente de la SFEM
Professeur émérite des Universités (CERHIO-Le Mans)

    La Société française d’études mariales  est née dans le contexte des années 1930 aux contours particulièrement contrastés. L’idée de crise de civilisation nourrie par la Première Guerre mondiale et ravivée par la crise économique est alors très prégnante, tandis que le catholicisme, s’efforçant d’apporter une réponse à cette crise de civilisation  fait preuve d’un réel dynamisme, malgré les tensions internes qui le traversent, aux lendemains de la crise moderniste et au cœur de celle de l’Action française. Réintégrés dans la vie publique depuis le conflit, les catholiques y affichent leur présence. Sur le terrain social, se manifestent les fruits du catholicisme social à travers l’audience de  la Confédération des travailleurs chrétiens (CFTC), le succès des Semaines sociales annuelles, ou celui de l’Association catholique de la Jeunesse française (ACJF). C’est l’époque à laquelle ce mouvement connaît une mutation importante avec la naissance des mouvements d’action catholique spécialisés, autre lieu de mobilisation de la jeunesse à côté du scoutisme qui prend par ailleurs son véritable essor en France. Le monde des médias et de l’édition offre également des relais pour le rayonnement catholique à travers des initiatives comme celles de Francisque Gay (La Vie catholique et L’aube), d’Emmanuel Mounier (Esprit), ou des Dominicains (La Vie intellectuelle et Éditions du Cerf). Ces initiatives sont en rapport avec la vitalité intellectuelle du catholicisme. Point n’est besoin d’insister par exemple sur les apports de  François Mauriac ou de Georges Bernanos dans la production romanesque. Quant à Maurice Blondel ou Jacques Maritain, ils sont soucieux l’un et l’autre, sur le plan philosophique, chacun avec sa tonalité propre et non sans susciter bien des incompréhensions, de répondre au problème de la conciliation entre la raison et la foi qui fut au cœur du volet philosophique de la crise moderniste et qui est loin d’être résolu à l’époque.
    Le tableau de la pratique religieuse est lui aussi contrasté puisqu’il fait apparaître aussi bien la désaffection ouvrière vis-à-vis de l’Église, dépeinte par le père Lhande, à la charnière des années trente, dans Le Christ dans la banlieue, que le rayonnement spirituel, y compris chez les laïcs,  de figures comme  Jeanne d’Arc, Thérèse de Lisieux ou saint François d’Assise notamment. Quant à la dévotion mariale, elle demeure bien vivante au sein des œuvres mariales et autour des sanctuaires qui suscitent des pèlerinages fervents et des publications dont la visée est en priorité l’édification et la piété des fidèles.

 

La période des origines

    Parmi les manifestations mariales de l’époque, l’une d’entre elles eut un retentissement particulier : la célébration, repoussée à 1927 à cause de la mort de l’évêque qui en avait eu l’initiative, du 1050e anniversaire du don du voile de Notre-Dame fait à Chartres par Charles-le-Chauve en 876. Ces fêtes mariales furent l’occasion d’émettre le vœu que soient organisés des « congrès marials nationaux », sur le modèle des congrès eucharistiques nationaux. C’est ainsi que se constitue, le 18 juin 1929, sous la présidence de Mgr Harscouët, évêque de Chartres, le comité national chargé de les promouvoir. Le premier de ces congrès, qui vont devenir quadriennaux, se tient à Lourdes en 1930. Ce seront ensuite, pour s’en tenir à la période d’avant-guerre, ceux de Liesse en 1934 et Boulogne-sur-Mer en1938. Ces congrès qui se veulent des actes cultuels centrés sur le mystère de Marie entendent également dispenser un enseignement en rapport avec le sujet retenu par chacun d’eux. Aussi des théologiens spécialistes se trouvent-ils engagés dans le mouvement.  
    À l’heure même de ces grands rassemblements, le souci se manifeste de préciser, à travers des enquêtes, la place tenue par la dévotion mariale dans l’Église. Le bilan de celles qui sont lancées par les scolastiques de Jersey, en 1933 pour les jeunes et d’une manière plus globale en 1934, pose la question du lien entre l’apostolat, en particulier dans le cadre des mouvements d’Action catholique, et une authentique dévotion mariale, ce qui renvoie au problème plus général de la formation doctrinale des laïcs.
    Le père Benjamin Morineau (1876-1949), fondateur de la Société française d’études mariales, se situe précisément au carrefour entre ces deux initiatives. D’une part, en effet, il est un des neuf membres du bureau constitué par Mgr Harscouët en 1927. Il y mesure la nécessité de constituer, entre les théologiens qui apportent leur contribution aux congrès marials, une véritable équipe de travail, pour promouvoir et approfondir l’étude de la mariologie en France. Une telle recherche sera utile, pense-t-il, par ses retombées sur les congrès marials et les œuvres mariales. Il insiste d’autant plus sur ce point qu’il perçoit, comme le traduit l’enquête de 1934, que les fidèles ont besoin d’être éclairés ou libérés de leurs hésitations car les directeurs d’œuvres sont souvent très silencieux à propos de la dévotion mariale. C’est dans cette ligne que s’inscrit sa brochure Marie et l’Action catholique qui paraîtra en 1938. Sans être lui-même à proprement parler ni un théologien ni un universitaire, il a néanmoins acquis la conviction que, dans le domaine marial, les exigences d’une formation doctrinale sous-tendue par une étude sérieuse sont de plus en plus pressantes. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si toute cette germination intervient  dans le contexte de la célébration du XVe centenaire du concile d’Éphèse (1931) qui souligne l’importance de l’étude pour l’approfondissement doctrinal.
    C’est lors du congrès marial de Liesse de 1934, que le père Morineau suggère la création d’une Société française d’études mariales pour « promouvoir l’étude du Mystère de Marie, dans l’intelligence duquel on voudrait pénétrer davantage ». Dans La Vie spirituelle du 1er novembre 1934, il en annonce la fondation imminente.
    Quant à la méthode de travail, les objectifs de la Société sont doubles. D’une part, ils sont le fruit de l’itinéraire intellectuel et spirituel de Benjamin Morineau. Confronté à la crise moderniste lorsqu’il était professeur à Juilly entre 1907 et 1911, il avait trouvé la réponse au trouble que lui procurait la lecture de Loisy à un double niveau : philosophique dans les écrits de Maurice Blondel avec lequel il entretient également une correspondance régulière, et spirituel, dans le Mystère de Marie. C’est cette ligne qu’il insuffle à ses origines à la Société française d’études mariales : elle entend faire un travail solide, conciliant les exigences de la raison et celles de la foi. D’autre part, elle souhaite travailler dans l’ombre, sans rechercher une grande publicité, et dans un climat très fraternel de simplicité et d’amitié. Le fondateur le souligne dans la présentation qu’il fait de la Société, au lendemain de sa première session qui se tient chez les jésuites à Paray-le-Monial les 4 et 5 septembre 1935 :
    « Ouverte aux théologiens et aux érudits qu’attire le problème de Marie et qui veulent prendre une part active à ses travaux, la société espère continuer son effort dans cette atmosphère d’intellectualité très décidée et de cordialité très simple où, après avoir prié filialement la très saint Vierge, on fait du bon travail. »
    Ce climat reste une constante dans la vie de la société, comme le note en 1953 le successeur du père Morineau, Mgr Jouassard  :  « Chacun parmi les membres titulaires peut faire entendre sa voix, son point de vue, et soutenir celui-ci fermement, quoique amicalement. […] Toujours les discussions sont demeurées sur ce plan fraternel et elles ont permis aux tendances les plus diverses de se manifester. Tendances diverses dans l’ordre théologique s’entend ; il ne saurait être question d’évasion hors du domaine de la foi, personne n’y songe. Jamis donc dans cet ordre de la simple théologie, il n’y a eu chez nous de heurts sérieux, quand même les écoles qui se faisaient entendre étaient différentes sinon opposées. »
    Quant au choix des thèmes retenus pour ses travaux, la Société n’adopte que progressivement un plan strict étalé souvent sur plusieurs années. La première session est consacrée à l’étude d’auteurs dont les apports à la théologie mariale sont particulièrement riches : saint Albert-le-Grand, saint Thomas, saint Bernard. Au sujet de ce dernier, la séance centrée sur la communication du père Morineau, « Maternité spirituelle de Marie et théologie mystique de saint Bernard », illustre la volonté de fonder la société sur un travail rigoureux suscitant des échanges. Car cette intervention provoque, avec le père Aubron qui est en train d’achever son travail sur L’œuvre mariale de saint Bernard, une riche discussion sur la manière dont saint Bernard articule l’usage de la raison et de la foi. Les sessions  suivantes (Mours, La Pierre-Qui-Vire, Le Saulchoir) sont consacrées d’une part, dans la perspective de l’édition d’un manuel, à l’enseignement de la mariologie et à la méthode qu’elle suppose, et d’autre part à des questions  en rapport avec les recherches en cours et les compétences des différents intervenants.
    Dès les premières sessions, on trouve les noms du père Pierre Aubron, jésuite, professeur de mariologie à l’Institut catholique de Lyon, de Mgr Paul Mulla-Zadé, converti de l’Islam, professeur à l’Institut pontifical oriental, cher au père Morineau à cause de leur commune proximité avec Maurice Blondel, parrain de Paul Mulla, du père Henri Barré, spiritain, supérieur du séminaire français de Rome. Évoquant un peu moins de vingt ans plus tard, en 1953, le recrutement de la Société le père Jouassard note : « Le nombre des membres [une centaine alors] augmente d’année en année. Petit à petit tout ce qu’il y a de théologiens qui s’appliquent en langue française à nos études vient à nous ; il en arrive même de Belgique, où il existe cependant des sociétés analogues. Le dessein que nous avons n’est pas en effet de contrecarrer qui que ce fût, mais plutôt de créer à l’inverse et d’entretenir des liens avec toutes les sociétés concurrentes, qu’elles utilisent le français ou d’autres langues . Il s’agit de concours entre nous et non de rivalité». Ainsi la Société a noué très tôt des liens avec l’Université de Dayton : le marianiste Théodore Koehler intervient lors de la session de 1947 et restera très fidèle aux travaux ultérieurs, relayé ensuite par le père Johann Roten.  « Tous les Ordres religieux sont admis et invités, poursuit le père Jouassard, et presque tous dans le fait sont représentés, à côté du clergé séculier, il va sans dire. Les laïcs eux-mêmes ne sont point exclus par principe et jamais ils ne le sont comme membres honoraires. »
    À l’heure même où la Société décidait d’en venir à un plan plus systématique pour arrêter le choix des thèmes de ses rencontres, la guerre ne permit pas la réalisation du projet arrêté qui portait sur l’étude des différents privilèges de Marie, à commencer par la Sainteté de Marie, thème retenu pour la session prévue à Chartres en 1939.
    Le choix de Chartres est maintenu pour la reprise des sessions en 1947. Dans les années qui suivent, la session de 1950 revêt sans doute une importance particulière. Le fait qu’elle se tienne à Saint-Laurent-sur-Sèvre ne s’explique pas seulement par la volonté de choisir un lieu auquel la présence des restes de Louis-Marie Grignion de Montfort donne une forte connotation mariale. Il est aussi lié à la volonté de rendre hommage au fondateur de la Société française d’études mariales décédé en septembre 1949, inhumé à l’ombre du fondateur des Montfortains. Cette session clôt donc en quelque sorte la période fondatrice tout en affichant une volonté de continuité avec l’orientation donnée aux origines à la Société. Et le patrologue Georges Jouassard qui succède au père Morineau à la tête de la Société, s’inscrit effectivement dans la ligne de ce dernier, insistant sur la nécessité de « traiter la mariologie d’une façon aussi scientifique que possible, théologiquement parlant, et dans l’esprit le plus catholique ». Cette session confirme également que la Société a désormais acquis sa vitesse de croisière car elle clôt un cycle d’études particulièrement importantes.
    Pour 1947, en effet, ayant décidé alors de s’orienter vers l’étude de thèmes s’étalant sur plusieurs années consécutives, elle avait choisi celui qui s’imposait à cette époque : l’Assomption. La Société estimait de son devoir d’apporter sa pierre à l’édifice en préparation car tout laissait entrevoir l’imminence d’une définition dogmatique. Durant trois années, de 1948 à 1950, le travail porte donc sur ce thème, le clôturant à Saint-Laurent-sur-Sèvre, à la suite du congrès marial de Rennes également consacré à l’Assomption, et quelques semaines avant la proclamation du dogme, à la Toussaint 1950. Or les travaux de la SFEM n’ont pas été sans impact sur l’élaboration de cette formulation, car le fruit en a été transmis à Rome par l’intermédiaire du cardinal Gerlier chancelier de l’Institut catholique de Lyon où le chanoine Jouassard assurait la fonction de doyen de la faculté de théologie.


Principales orientations des travaux 
     
    « Poursuivre une recherche qui non seulement fût utile au Magistère pour une meilleure intelligence de la Révélation, mais aussi assurer une meilleure transmission et une meilleure réception du donné révélé », tel apparaît de plus en plus, comme l’exprime Mgr Charles Molette , la mission que se donne la Société. Cette réalité est particulièrement prégnante à l’heure de Vatican II. Il est en effet frappant de constater que durant une vingtaine d’années, entre 1951 et 1970, tous les thèmes retenus s’inscrivent dans « une réflexion préparant, accompagnant et continuant la réflexion du concile ». La phase de préparation correspond aux sessions sur Marie et l’Église (1951 à 1953), La Nouvelle Ève (1954 à 1957), La maternité spirituelle de Marie (1959 à 1961), trois « thèmes-clés de Vatican II » pour reprendre l’expression de René Laurentin présent à la SFEM dès 1947, et bien préparé par l’apport de ses investigations pour sa thèse « à participer avec rigueur et vigueur au concile Vatican II : nourri de la tradition remontant à saint Ambroise, il avait pressenti  la place privilégiée de Marie dans l’Église, aspect qui s’exprimera dans le chapitre VIII de la constitution dogmatique Lumen gentium ». La phase d’accompagnement du concile correspond, pour la Société, à sa session sur Marie et l’œcuménisme (1962-1964). Quant à la phase de réception,  elle est inaugurée en 1965 avec La Vierge Marie dans  la Constitution sur l’Église et se poursuit avec les sessions qui s’inscrivent dans le prolongement de l’enseignement du concile et sont centrées sur la présence de Marie dans la vie de l’Église : Recherche sur l’intercession de Marie (1966 et 1967) et Le Saint-Esprit et Marie (1968-1970). À l’heure de la définition du dogme de l’Assomption comme à l’heure de Vatican II, la SFEM joue donc en quelque sorte un rôle de relais avec le Magistère. De la même ligne, dans ses sessions consacrées aux Images et visages de Marie (1976) et aux Images etsanctuaires de Marie (1977) elle est attentive  aux deux exhortations apostoliques dans lesquelles Paul VI établit les principes du culte marial découlant de l’enseignement conciliaire, Signum magnum (13 août 1967) et Marialis cultus (2 février 1974). Plus tard, l’encyclique Redemptoris mater est au centre des réflexions de la session de 1993, qui débouchent sur l’étude de La foi de Marie, Mère du Rédempteur (1994-1995).
    À partir des années 1970, se manifeste, dans le choix des thèmes retenus, le souci d’ausculter la vie de l’Église pour y dégager la place de Marie. Plusieurs éléments du contexte contribuent à ce choix. Sur le plan historiographique et sociologique, l’intérêt croissant  des sciences humaines  pour la pratique religieuse, et pour la « religion populaire » en particulier, incite à intégrer ces problématiques dans l’optique inscrite aux origines de la SFEM d’une conciliation entre rigueur scientifique et référence à la foi de l’Église. De manière ponctuelle,  la célébration, en 1971, du centenaire des apparitions de Pontmain offre l’opportunité de mener une réflexion sur le thème des apparitions, d’où le thème traité, précisément à Pontmain : Vraies et fausses apparitions dans l’Église. Ce sont ensuite les congrégations d’inspiration mariale qui retiennent l’attention (1972) puis la question féminine à la lumière de Marie (1973 et 1974, puis 1988-1990), les images de Marie et les sanctuaires (1976 et 1977), la piété envers Marie (1978 pour le XVIe siècle, et 1991 pour  la période postérieure à Vatican II), La Vierge dans la tradition cistercienne (en 1998, à l’occasion du centenaire de la fondation de Cîteaux), La Vierge dans la catéchèse (1999) et La Vierge dans l’enseignement de la théologie (2001).
    Ces choix centrés sur la vie de la communauté ecclésiale ne signifient pour autant que la Société se détourne des thèmes plus doctrinaux car elle garde présents à l’esprit les objectifs des origines visant à une meilleure intelligence du donné révélé. Les critères retenus pour les choix des thèmes sont divers. Tantôt il s’agit, comme nous l’avons souligné plus haut, d’aider à la réception des documents du Magistère ; c’est le cas pour Marie et la fin des temps (1984-1986) « qui développait l’enseignement conciliaire sur Marie, icône eschatologique de l’Église », avec  une référence au texte de la S.C. pour la doctrine de la foi sur « quelques questions concernant l’eschatologie » (17 mai 1979). Tantôt il s’agit de contribuer à la préparation des grands rassemblements ecclésiaux ; ainsi, Marie et l’Eucharistie, thème de la session de Toulouse en 1980, est délibérément choisi dans la perspective du congrès eucharistique de Lourdes de 1981. Tantôt les interrogations suscitées  par les débats théologiques, voire les controverses de l’heure poussent à tenir compte de cette actualité. Des thèmes comme Faut-il réviser les dogmes concernant Marie (1981), La Virginité de Marie (1997),  s’inscrivent dans ces perspectives. C’est aussi l’attention à l’actualité qui a poussé à consacrer deux sessions sur Marie dans les apocryphes chrétiens (2003-2004), étant donné la multitude d’études dont ces écrits ont été l’objet depuis un quart de siècle environ.
    Une pratique quasi traditionnelle dans les sessions de la SFEM, liée à son souci de suivre les diverses publications relatives à Marie est le travail bibliographique qu’elle s’impose pratiquement à chaque session. C’est René Laurentin, bien préparé par les investigations qu’il avait faites pour sa thèse, qui inaugura en 1959 la formule des « carrefours bibliographiques » ; ils devinrent une tradition et il en fut longtemps l’animateur fidèle. La relève a été prise par le père Longère et le père Roten, selon des modalités qui ont pu varier avec le temps mais qui montrent que l’information bibliographique continue d’être une préoccupation importante de la Société.
    L’évocation des travaux de la SFEM ne peut passer sous silence une autre constante : leur dimension pluridisciplinaire. Approches biblique, patristique, historique, se conjuguent toujours dans l’étude des thèmes retenus. Il est possible également de noter le recours  précoce à l’iconographie. Certes l’iconographie peut être au cœur de la démarche lorsqu’il s’agit, par exemple, d’étudier les images de Marie (1976-1977). Dans d’autres cas, le recours à l’iconographie, plus marginal au premier abord, constitue néanmoins un apport enrichissant à la problématique d’ensemble. En toute hypothèse, elle n’est jamais exclusive des autres sciences humaines car l’intelligibilité des images suppose l’étude du fondement biblique et théologique auquel elles se réfèrent et du contexte historique dans lequel elles s’inscrivent.
    La dimension pluridisciplinaire est tellement inhérente aux travaux de la SFEM que le choix des présidents successifs en est comme le reflet. En effet, après Benjamin Morineau, c’est, on l’a dit, le patrologue Georges Jouassard qui assume cette présidence à partir de 1949. Après avoir soutenu sa thèse de théologie en 1923 sur L’abandon du Christ au père durant sa passion, il fut nommé professeur à la faculté de théologie de Lyon dont il devint plus tard doyen. C’est un exégète Henri Cazelles, sulpicien, professeur à l’Institut catholique de Paris, qui lui succède en 1962. Ayant commencé par faire des études de droit, il avait été préparé à aborder l’exégèse par le biais du Code de l’Alliance auquel il consacra sa thèse. À partir de 1974, la Société est présidée cette fois par un historien contemporanéiste, Charles Molette, spécialiste du catholicisme socialavant d’ouvrir un autre chantier sur la résistance spirituelle durant la Seconde Guerre mondiale, et à  l’heure où il venait de fonder l’Association des archivistes de l’Église de France. Après vingt ans de présidence, il fut remplacé en 1994 par Jean Longère, sulpicien, médiéviste, directeur de recherche au CNRS et membre actif de l’Institut de recherche et d’histoire des textes, auteur de travaux sur la théologie spirituelle et pastorale au Moyen Âge, avec une prédilection particulière pour le XIIe siècle, dans la ligne de sa  thèse consacrée aux Œuvres oratoires des maîtres parisiens au XIIe siècle et publiée en 1975.
    L’évolution des thèmes abordés est en rapport avec le contexte ecclésial et culturel. Elle est aussi le reflet d’une diversification du recrutement de la Société, quand elle n’en est pas l’élément déclencheur.
    Au départ, on l’a vu, la Société est composée de membres titulaires « théologiens et érudits qu’attire le problème de Marie » et de membres honoraires intéressés par les travaux de la Société mais ne se sentant pas suffisamment compétents pour y participer  de manière active. En fait le climat dans lequel se déroulent les travaux de la Société, climat de prière et de fraternité, a permis qu’il n’y ait pas de différence entre ces différentes catégories. Initialement la Société, bien qu’elle soit soucieuse d’inviter l’évêque du lieu à chaque session ne comptait pas comme membres des évêques, non pour les exclure a priori, mais avec l’idée que leur tâche ne leur permettait pas de s’astreindre à un travail assidu.
     Elle ne comptait pas non plus de femmes. Une évolution s’est amorcée dans les années 1970, époque à laquelle des questions relatives à Marie et à la question féminine ont retenu l’attention de la Société : en 1972, Redécouverte de Marie dans les congrégations féminines ; 1973, Marie et la question féminine. Il était difficile de parler des femmes sans faire appel à des femmes. C’est ainsi que Sœur Jeanne d’Arc de Chevigny non seulement fait son entrée à la Société mais contribue à ce que son couvent d’appartenance, celui des dominicaines de Soisy-sur-Seine, soit choisi pour tenir la session de 1974 . En 1976, autre signe du caractère pluridisciplinaire des travaux de la SFEM, Bernadette Lorenzo, psychologue analyste, donne à Rocamadour une intervention sur « Normalité et pathologie dans la représentation intérieure de Marie ». Une nouvelle étape est franchie en 1981, lorsque Paule Bétérous, professeur de littérature médiévale est élue vice-présidente. Aujourd’hui, la présence féminine est devenue habituelle, y compris au bureau de la Société.
    Parallèlement, dans une perspective œcuménique, la Société s’est ouverte à des non-catholiques. Du côté orthodoxe, le doyen de l’Institut Saint-Serge, Mgr Boris Bobrinskoy, du côté protestant, le pasteur Henry Chavannes sont devenus l’un et l’autre des membres actifs dont la présence a toujours été stimulante pour les travaux de la SFEM.
    Un autre aspect de l’évolution de la Société est son ouverture aux pasteurs et aux recteurs de sanctuaires, au cours des années 1980 ; aussi les liens avec les œuvres mariales se sont-ils parallèlement développés. Cette situation ramène à la période des origines de la Société née précisément dans un contexte où le besoin de formation des responsables des œuvres mariales avait amené à susciter un lieu de recherches et d’études susceptibles , par ses retombées, de répondre à ce besoin. La diversification du recrutement s’accompagne d’une diversification dans les attentes des participants, les uns ayant des préoccupations plus directement pastorales, tandis que la ligne de la SFEM est avant tout, comme son nom l’indique, une société d’études. Néanmoins ces deux objectifs ne sauraient être contradictoires. Ce serait d’ailleurs trahir l’esprit des origines de la Société qui se voulait, par les retombées de ses travaux « collaborer à ce grand mouvement qui, dans l’Église, emporte les âmes vers Marie pour aller à Jésus Christ, mouvement dont les congrès marials français, précisait le père Morineau, sont l’éclatante manifestation ».

    Avant de terminer ce tour d’horizon, il convient peut-être de signaler que tout cet effort s’est délibérément inscrit dans un contexte international en premier lieu par une participation aux congrès organisés par l’Académie pontificale mariale internationale, dont on n’oublie pas le président, le P. Paolo Melada. Ces congrès d’ailleurs étaient eux-mêmes le fruit des relations entre les membres des diverses associations nationales déjà unies par leur recherche dans le domaine de la mariologie et qui devinrent aussi l’occasion d’entretenir et de développer les liens ainsi créés. Sans oublier tant de fidèles amitiés romaines voire polonaises, on ne peut méconnaître, par exemple, l’importance du rôle joué en ce domaine par  le père Théodore Koehler, aussi bien que par le père O’Carrol spiritain irlandais ou le pasteur suisse Henri Chavannes, toujours fidèle d’ailleurs à rappeler aux catholiques l’importance de saint Thomas d’Aquin pour la réflexion théologique.